C’est une approche inédite que nous propose Charlie Galibert, ethnologue « à la puissance 10 » selon son confrère Marc Auger, à travers cette initiation au tourisme éblouissant qui paraît aux éditions Mémoires Millénaires. Il a convoqué le héros Ulysse afin de mieux naviguer sur cet « archipel » que sont selon lui les différents campus universitaires. Il en retient les quatre fondamentaux. Nous disions encore naguère fac de Lettres, fac de Droit, fac de Sciences, le plus vulgairement du monde. Érudit, enthousiaste, curieux de tout, l’auteur de ce guide est un professeur qui honore la connaissance du fonctionnement mythologique des lieux de diffusion du savoir. Il choisit les noms à la phonétique mémorable : Trotabas, Carlone, Valrose… St Jean d’Angely bien sûr. Il s’agit bien d’un parcours anthropologique et les noms doivent être un zeste plus savants.

C’est en 1965 que naît l’université de Nice, au moment où la ville elle même se développe comme métropole française et cité du littoral méditerranéen. Il était question d’une construction sur les terres de Vaugrenier, très à l’extérieur de la ville. C’est finalement les collines qui seront retenues par Jean Médecin pour un campus qui deviendra assez vite dispersé et invisible, des fac’ séparées par des contraires idéologiques. Pour Galibert, il s’agit d’admettre comme réalité locale cet archipel, tout comme nous savons que Ulysse et ses compagnons ont visité des îles aux peuples inconnus, sans souci de confédération entre eux. Pour lui, la pensée du midi domine et fabrique ces contraires dont chaque campus tire ses qualités spécifiques. Les œuvres artistiques elles aussi participent de cette identification que ce soit l’Accident à Carlone ou le Message biblique à Trotabas. Le lyrisme général de l’auteur de ce guide des quatre universités nous fixe un temps sur la machine à café, sur les graffitis, sur les usages des lettrés ou ceux des inconditionnels du texto. Tous les lieux ne sont pas chargés de la même émotion, du même patrimoine. On va du XXème classique au XXIème qui prépare au futur à travers ces analyses comparatives détaillées. Parfois l’arrêt du tramway est un appel à une signalétique à l’attention des humanistes. Mais que sont devenus les humanités ? Où sont les étudiants ? Les habitudes sont autres, les lounge-bars remplacent les bistrots, la cinéphilie se pratique moins en salle de cinéma et la représentation théâtrale est devenue une chose du passé respectable. Devant l’usage incessant de la téléphonie et de la cybernétique dans le creux de leurs mains, on peut se demander raisonnablement à quoi rêvent les étudiants. Le livre de Charlie Galibert ne répond à la question mais il est un fait qu’il fait rêver quand aux possibilités de transformation d’une société par son université, laquelle a compté des célébrités chez les étudiants comme chez les enseignants, de J-M-G Le Clézio à Clément Rosset, de André Tosel à Michel Grisolia. Ce souhait, cette utopie, Galibert l’appelle de ces vœux lorsqu’il cite les propos de François Martinez, le patron du Bar du Parc, ancien des Chasseurs Alpins, qui constate avec lucidité que les étudiants d’en face, ceux de St Jean d’Angely, n’ont plus assez d’argent pour s’attarder et consommer ici. Seuls les professeurs peuvent encore s’aventurer et participer aux discussions entre habitués durant les repas de midi à prix modique. Faisons en sorte que les étudiants connaissent mieux le quartier qu’ils fréquentent pour leurs études. Qu’ils le vivent en dehors de leurs études. Ce que tous les idéalistes révolutionnaires ont fait « chez Jacques », bar-restaurant en bas de Carlone, il y a 40 ans. Autre chose que le calque d’un Mars aux Musées sans substantifique moelle.

Denis Chollet

(publié par Le Patriote)

L’université de Nice se coupe en quatre

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